Antonia : de l’agro à la psycho

Antonia* a commencé sa carrière en tant qu’ingénieure agroalimentaire. Comme beaucoup d’autres ingénieurs, elle choisit cette voie « royale » parce qu’elle est très bonne élève, particulièrement en biologie.

Son rêve alors, devenir ingénieure agronome, partir en mission humanitaire en Afrique, puis acheter un domaine en France et devenir agricultrice.

Un joli plan de carrière

Finalement, dès la première année, elle bifurque. Ce sera l’agroalimentaire. Ce qui l’attire, c’est la filière recherche et développement (R&D).

Après une expérience aux Etats-Unis, elle qui était pourtant très timide débute en tant que commerciale dans les ingrédients, à cause du manque de débouchés dans sa filière préférée. Elle fait ses débuts dans une petite boite, avant d’être embauchée dans une grosse entreprise d’épaississants et de gélifiants, comme responsable commerciale.

« Je me suis souvent demandé pourquoi on me mettait toujours en commerciale ! C’était peut-être mon côté humain… Enfin, j’étais bonne commerciale dans le développement de nouveaux projets, parce que j’étais assez technique, mais pas dans la négociation. J’adorais développer de nouveaux produits, créer de nouvelles choses, ça me permettait d’être en contact avec la R&D. »

Cette recherche de création, de nouveauté est assez vite déçue. Antonia se rend compte que dans l’agroalimentaire, on n’innove pas tant que ça.

« On ne change pas de tendances consommatrices si rapidement que ça, en fait. On est habitués à manger des choses de notre enfance et on est assez conservateurs dans l’alimentaire finalement. »

Au bout de 10 ans, elle sent qu’elle a fait le tour.

« On me changeait de poste tous les deux ans. En 10 ans, j’ai eu des postes en technique, en commercial, en marketing-développement et en stratégie marketing. »

Si ces changements de postes répondent à son besoin d’apprendre et à sa soif de nouveauté, elle regrette de ne jamais rester assez longtemps à un poste pour constater les effets de son travail.

En parallèle, l’ambiance se dégrade au bureau, et elle se sent dévalorisée par ses chefs, notamment depuis que sa maternité la rend moins disponible.

Elle demande alors à faire un bilan de compétences, argumentant que c’est pour se repositionner dans la boite, alors qu’en réalité, elle espère y trouver une porte de sortie.

Le bilan de compétences : la rencontre déclic

Le premier rendez-vous avec un consultant en bilans de compétences étant systématiquement gratuit, Antonia fait plusieurs rendez-vous avec différentes consultantes, pour être sûre de choisir la bonne personne pour l’accompagner dans sa transition professionnelle.

« Le bilan de compétences, c’est comme en thérapie, le lien à la personne en face est important. Les tests et outils vont aiguiller, mais c’est vraiment ce que ressent la personne en face des compétences du bénéficiaire qui est important. J’avais un besoin de sécurité et une grande exigence dans le travail, ma consultante a très bien compris que j’avais donc besoin d’études bien bordées avec un diplôme à la fac. Elle m’a aussi fait comprendre que rester dans mon travail actuel n’était pas une option. Elle a eu une phrase qui a été un déclic pour moi, elle m’a dit : “bon, ça fait combien de temps que vous travaillez, 12 ans ? 13 ans ? Donc vous avez fait un tiers, vous en avez le double à faire avant de partir à la retraite…” Ça m’a convaincue ! »

Pendant le bilan de compétences, la consultante lui demande si elle a déjà pensé à un autre métier.

« Quand j’étais enceinte, la psychanalyse m’avait intéressée, mais j’avais vu qu’il fallait faire une analyse de 7 ans. Je me suis aussi rappelé que lorsque j’étais ado, on avait une encyclopédie à la maison avec de très gros chapitres sur la psychologie et j’avais tout lu, ça m’avait passionnée ».

C’est donc le métier de psychologue que creusent Antonia et sa consultante en bilans de compétences.

Métro, boulot, psycho

Au terme de cet accompagnement, Antonia s’inscrit en psycho à l’université Paris 8, car la formation est accessible à distance, ce qui lui permet de garder son travail, de ne pas prendre trop de risques.

« Reprendre des études, c’est déjà mettre un pied en dehors de l’entreprise et c’est ce que j’ai fait. Je n’entrais plus du tout dans le cadre de la boite, dans la culture, ça devenait très discordant. »

Belle synchronicité, les résultats de sa première année de fac, une avalanche de 20, de 19 et de 18, tombent la veille de l’entretien semestriel avec sa cheffe, bien moins enthousiasmant.

« Elle me dit que rien ne va plus, qu’il faut que je me remette en question. »

Il n’en faut pas plus à Antonia pour décider d’aller voir une avocate, qui lui conseille de monter un dossier pour bien négocier son départ (spoiler alert : elle partira avec un très gros chèque qui lui permettra de financer ses études !).

« Comme la consultante en bilans de compétences m’a aidée à prendre la décision de reprendre des études, l’avocate m’a aidée à prendre la décision de quitter mon travail. Le rôle social est important ! »

Antonia quitte son travail après deux ans de cours de psycho à distance. Les deux premières années, elle travaille ses cours dans le métro et le soir, lorsque son fils est couché.

« À partir de la Licence 3, ça se corse, il y a beaucoup plus de travail et il y a les premiers stages. Et en Master, c’est encore plus intense, sachant que pour être sélectionné en Master clinique, il faut avoir de très bonnes notes : ils gardaient quarante personnes sur une centaine de postulants. »

Elle termine le Master épuisée, mais avec 17,5 de moyenne.  

« À la fin, j’étais en burn-out je crois ! Je n’arrivais plus à mémoriser ! »

Son diplôme en poche et 1600 heures de stage à son actif, Antonia ouvre son cabinet de psychologue.

« Je ne pensais pas du tout exercer en libéral au départ, mais j’avais le projet de descendre dans le sud et j’avais mon fils en garde partagée. J’avais besoin de cette souplesse, mais je ne pensais pas du tout avoir le tempérament d’auto-entrepreneur, de prendre le risque de ne pas avoir de salaire, ce n’était pas dans ma mentalité. Et puis, s’installer directement, avec uniquement l’expérience des stages et sans réseau, c’était risqué, mais j’avais l’avantage de l’âge, j’avais 44 ans, je ne débutais pas dans la vie. »

Ce qui l’a aidée au début, c’est la plateforme Doctolib, c’est de là, et du bouche à oreilles, que vient la majorité de sa patientèle encore aujourd’hui.

Il est grand temps de rêver éveillé

En parallèle de son activité, elle se forme, jusqu’en 2020, à une méthode qu’elle a découverte en tant que patiente, pendant ses études de psycho : le Rêve Eveillé Libre. Une méthode avec laquelle elle se sent très vite à l’aise et qui singularise sa pratique, là où beaucoup d’autres psychologues choisissent des techniques plus connues, comme l’EMDR ou l’hypnose. Aujourd’hui, 80 % des séances de psychothérapie d’Antonia comportent un rêve éveillé.

« Le Rêve Eveillé Libre est une méthode créée par Georges Romey, qui se base sur le Rêve Eveillé Dirigé, qui est déjà une vieille méthode psychanalytique assez proche de l’hypnose, où on utilise la visualisation et l’imaginaire, plutôt que le langage. »

C’est une méthode basée sur des concepts freudiens et jungiens, qui a pour but la réparation d’événements antérieurs et le développement de soi.

Aujourd’hui, Antonia est ravie de son changement de vie professionnelle.

« En tant qu’ingénieur, on n’utilise jamais les émotions dans le travail, c’est même quelque chose qui est plutôt suspect ! Il faut être analytique et démontrer les choses de façon très pragmatique. Pouvoir utiliser les émotions et l’intuition dans le boulot, c’est une vraie libération pour moi ! Ça donne une liberté d’être qui est magique. »

*Le prénom de l’interviewée a été changé afin de garantir la confidentialité de son parcours vis-à-vis de ses patients.

Le message d’Antonia aux lecteurs d’Orenda

« C’est génial de changer de vie. C’est une nouvelle jeunesse. Il faut faire attention, ne pas faire n’importe quoi, ne pas s’engager dans un truc trop farfelu. Si on fait le choix d’être indépendant, c’est important d’avoir différentes sources de revenus. Moi, j’ai le cabinet, je donne des formations et je fais des supervisions. Quand un domaine marche moins bien, les autres compensent. Je pense que c’est important, dans le monde d’aujourd’hui, de penser à la sécurité, mais sans brider ses rêves : équilibrer la sécurité et l’exploration. Quand je vois tous les gens malheureux dans leur travail, je me demande quel sera leur avenir : de prendre des anxiolytiques toute leur vie ? On peut reprendre sa liberté, ne pas se sentir un pion dans une entreprise, ne pas rester dans une entreprise toxique, une voie de sortie est possible ! On peut vraiment changer, vraiment se révéler dans un autre métier. Il faut prendre des risques (mais mesurés) ! »

Les livres “déclic” d’Antonia

📚 Un merveilleux malheur, de Boris Cyrulnik : il aborde le trauma et la résilience. Pour les gens qui ont eu des traumas, c’est l’espoir de récupérer son libre arbitre par rapport au trauma, que le trauma ne mène plus notre vie, on peut le transformer et récupérer notre liberté.

📚 Spinoza avait raison, d’Antonio Damasio : par rapport à mon métier d’ingénieur très rationnel, très scientifique. Changer de voie pour la psycho, ça ouvre aux émotions, aux sentiments, à d’autres facettes de la personnalité.

📚 Tous les livres de Carl Gustav Jung : ardus, mais tous passionnants !

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