Tiphanie : de l’environnement au web, changer son rapport au travail
Pour son 5e article, Orenda Raconte la reconversion professionnelle de Tiphanie, que j’ai eu la chance de rencontrer grâce au réseau de freelances Ta Pote Freelance. D’ingénieure dans le domaine de l’environnement à Online Business Manager, elle nous raconte les étapes de sa reconversion, sa quête de sens et ses prises de conscience.
La bonne voie
Dès le lycée, alors que la plupart des lycéens n’ont aucune idée de ce qu’ils pourraient bien faire comme métier, cette bonne élève, curieuse et touche à tout, des idées, elle en a trop ! D’attachée de presse à vétérinaire, tout l’intéresse. Mais puisqu’il faut bien se décider un jour, elle choisit de faire les classes préparatoires au concours de vétérinaire.
Des classes prépa qu’elle termine épuisée, mentalement et physiquement, au moment de passer les oraux du concours. Elle remet alors son choix en question.
« Je me disais : “est-ce que j'ai vraiment choisi la bonne voie ?”. J'adore les animaux, donc je m'imaginais très bien vétérinaire, mais gérer la douleur des animaux, les euthanasies… est-ce que mentalement, j'arriverais à gérer ce truc-là ? J'étais vraiment pas sûre de moi. »
Trop d’incertitudes pour continuer dans cette voie, elle décide de bifurquer et de faire une école d’ingénieurs dans le domaine de l’environnement.
« Ce qui était important pour moi, c'était de me dire : ce que je vais faire a de l'importance. J'ai besoin que ce que je fais ait un sens, que ça serve, que ce soit utile. Je ne veux pas d’un métier planqué où je brasse du vent. Je m'étais dit l'environnement, c’est parfait. Ce sont des métiers d'avenir, je vais m'occuper de la planète, je vais agir là-dessus, c’est trop cool ! »
L’école d’ingénieurs lui redonne le plaisir d’étudier, qu’elle avait perdu pendant la prépa, trop intense. Elle fait son stage de fin d’études dans une entreprise qui lutte contre la pollution pétrolière.
« Les naufrages du Prestige, de L'Erika, l'explosion de l’usine AZF : c'est l'entreprise dans laquelle j'étais qui allait sur ces sites-là pour dépolluer. En gros, c'est une entreprise qu'on appelle quand il y a des accidents environnementaux. Ça fonctionne par chantier et ça nettoie les côtes, ça récupère les marées noires, ça remet en état le littoral, etc. »
Elle y restera finalement 8 ans. Huit années formatrices pendant lesquelles elle apprend plein de choses, doit se débrouiller, trouver des solutions, avec peu de moyens. Jusqu’à ce qu’une réalité la rattrape.
La crise de sens
« Peu à peu, je me suis aperçue que je sombrais dans la partie pas cool. C'est à dire que quand j’entendais parler d’une marée noire, j’étais contente, parce que j’allais avoir du boulot. Et quand t'as envie de faire le bien autour de toi et que tu t’entends te dire : “un accident de marée noire, trop cool !”, tu comprends qu’il y a un truc qui ne va pas. »
Au-delà de cette ambiguïté qui la travaille, Tiphanie ressent du découragement dans ce monde dont les priorités lui échappent.
« Sans rentrer dans les détails, on travaillait avec des industriels auxquels on permettait de remplacer un produit toxique, nocifs pour l’environnement, par quelque chose de non-toxique. Ça a duré 4 ans, jusqu’à ce que l’Etat décide de diminuer les taxes sur ce fameux produit toxique. Ce qui fait que toutes les entreprises qui utilisaient notre produit à la place, et qui finançaient la recherche, ont arrêté. Ils disaient : “le produit toxique est moins cher, pourquoi j’irais faire autre chose ?”. En fait tout est lié à l’argent ! Les entreprises s’en foutent de polluer plus si ça leur coûte moins cher. »
Après ça, Tiphanie est envoyée sur un chantier d’un an. Un an sans vacances, loin de sa famille et de ses amis. Au terme de cette année, elle demande à son entreprise de lui fournir un bureau dans une des entreprises du groupe qui se situe près de chez elle, entre Nantes et Saint-Nazaire.
« Mais encore une fois, j'étais isolée de mes collègues et isolée de mes patrons. Je n'avais pas de supérieur hiérarchique. J'aimais être autonome, mais trop seule, personne ne suit trop ce que tu fais. Et ça, au bout d'un moment, mentalement, c'est compliqué. »
Est-ce que j’ai vraiment un impact ?
De plus en plus, Tiphanie se demande si tout cela a du sens et un véritable impact.
« Les dernières années, j'ai été responsable QSE (Qualité, Sécurité, Environnement). Mon rôle, c'était de m'assurer que mes collègues travaillaient en toute sécurité et que l'entreprise mettait tout en œuvre pour cela. J’ai cru que ça allait relancer mon intérêt, mais j’ai vite compris que mon travail était surtout de préparer les audits, pour qu’ils soient validés. »
En 2019, elle doit se faire opérer d’urgence d’un kyste dans le dos et se met en arrêt le temps de la cicatrisation.
« Au bout de cinq semaines, la plaie n’était pas totalement refermée et j’étais fatiguée, mais on avait un audit qui arrivait. Je me suis dit que je ne pouvais pas les laisser dans la merde. Je suis retournée au boulot, alors que j'avais toujours un trou dans le corps. J'arrive au boulot, j'appelle mon patron pour lui dire que je suis rentrée et la première chose qu'il me dit, c'est “Ok, demain, il faut que tu viennes au siège pour qu'on fasse le point”. Oui, mais le siège, il est à trois heures et demie de voiture, et je ne peux pas prendre la voiture. Je lui propose une visio et il me répond “Qui te dit que tu ne peux pas prendre la voiture ?”. Je lui réponds : “mon médecin et moi !”, et il me dit “Oui, enfin bon, ça ne m'arrange pas !”. »
Profondément blessée par ce manque de considération, elle se rend quand même sur le chantier où se déroule l’audit, malade et épuisée, puis à son entretien le lendemain matin à 7h30.
« Pendant cet entretien, on s'est dit qu’on allait mettre fin au contrat. Par contre, on a fait une rupture conventionnelle et ils ont été ultra cools. Le départ s’est bien passé, mais je suis partie un peu fatiguée émotionnellement, mentalement et physiquement. J’avais l’impression de m’être donnée à fond pendant tellement longtemps et que ça ne servait à rien. J'avais cette impression de ne pas être compétente, de ne pas être à ma place, de ne rien connaître. »
Après sa rupture conventionnelle, Tiphanie ne cherche pas tout de suite du travail, mais lorsqu’elle s’y met, l’idée même de retourner sur un poste similaire lui donne mal au ventre. Parce qu’il faut bien travailler, elle finit par accepter un entretien pour un poste de responsable QSE, mais au moment d’évoquer son ancien job, elle fond en larmes.
La reconversion professionnelle : introspection et prises de conscience
C’est impossible, elle ne peut pas retourner dans ce monde-là. Sa mère l’envoie alors vers une de ses amies coach en reconversion professionnelle.
« La première chose qu'elle m'a demandée, c'est de faire la liste, le bilan de mes 8 ans de carrière. Donc de faire un tableau et de noter tous les postes que j'avais eus, tout ce que j'avais fait, de détailler, et de mettre ce que j'avais aimé et pas aimé. J'ai fait un tableau énorme et ça a été salutaire parce que j’ai pris conscience que j’avais fait plein de choses. »
Elle qui avait perdu confiance en elle, se rend compte qu’elle a en fait acquis de nombreuses compétences. Elle prend conscience qu’elle déteste les déplacements professionnels, alors qu’ils étaient son quotidien pendant 8 ans. Qu’elle aime travailler de chez elle et choisir ses horaires. Grâce à un test, elle prend aussi conscience de son mode de fonctionnement. Elle se rend compte que les parties émotionnelle et créative sont beaucoup plus importantes pour elle que la partie analytique, qu’on retrouve dominante chez les ingénieurs.
« Ma coach en reconversion professionnelle m’a dit : “Écoute, si tu as l'impression d'être en souffrance depuis 8 ans, c'est normal. C'est parce que tu n'es pas dans un univers où tu es à ton aise. Ce n'est pas que tu ne peux pas y arriver, c’est juste que c'est plus naturel pour un ingénieur de fonctionner comme ça, et toi, tu fonctionnes complètement à l'opposé de ça. Alors forcément, tu es en lutte constante, parce que ce qu'on te demande de faire ne correspond pas à qui tu es”. »
Les séances avec sa coach lui permettent également de mettre le doigts sur un certain nombre de freins et de croyances. Tiphanie se rend compte que pour elle, travail = souffrance. Que si ce n’est pas difficile, alors ce n’est pas du travail. Que si on n’a pas l’impression de travailler dur, alors on est fainéant. Que si ce n’est pas désagréable, c’est qu’on ne travaille pas assez.
« Du coup, toute ma façon de travailler avant, de me forcer à faire des déplacements, de faire des trucs que je n'aimais pas forcément, ça a pris un sens ! Sans ça, j'avais l'impression de ne pas travailler, de ne pas mériter de salaire et de ne pas être compétente. Ça a été tout un travail sur moi de me dire que je pouvais être épanouie dans mon travail, organiser mon travail en fonction de ma personnalité atypique, en fonction de ma façon de fonctionner, être à l'aise et apporter quelque chose de bien. »
Avec sa coach, elles font ressortir les 3 critères les plus importants pour elle dans un travail : le sens, la sécurité financière et la stimulation intellectuelle, et épluchent les possibilités de métiers dans lesquels elle pourrait s’épanouir.
« C'est comme ça que j'ai choisi de devenir chef de projet digital. Ce qui est marrant, c’est que c’est quelque chose que je faisais bénévolement depuis plus de 15 ans ! Je fais partie de projets où j'ai fait de la modération, de la gestion d'équipe, de la rédaction web, de la gestion de communauté, la construction de Discord, de forums, de l’organisation de soirées jeux, etc. J’ai mis en place énormément de choses pendant 15 ans ! »
Pour donner de la légitimité à son changement de carrière, elle décide de passer un diplôme de chef de projet digital et ouvre sa micro-entreprise.
« J'ai monté ma micro en me disant que c'était pour pouvoir mettre la main à la pâte le temps de faire ma formation, mais une fois mon diplôme obtenu, je comptais redevenir salariée, parce que je suis quelqu'un d'extrêmement anxieux et que l'entrepreneuriat, trouver des clients, gérer la pression de l'argent, je croyais que ce n’était pas pour moi. »
Finalement, elle se rend vite compte que l’entrepreneuriat, lui permet de travailler de chez elle, d’adapter son travail à sa personnalité et à son fonctionnement.
Le bras droit des entrepreneurs
« J'ai gardé cette spécialisation en gestion de projet, parce que c’est ce que j’aime et ce que je fais le mieux, et je me suis définie comme OBM, Online Business Manager, le bras droit des entrepreneurs. Parce que ça répond bien à mon côté un peu touche-à-tout et couteau suisse. »
Cette nouvelle vie d’OBM lui permet d’avoir différentes casquettes. Elle fait de l’opérationnel (création de sites, newsletters, maintenance…), de la stratégie et de l’accompagnement. Elle souhaite rompre la solitude de l’entrepreneur.
« C’est bien d’avoir quelqu'un sur qui t'appuyer, quelqu'un qui puisse te dire “Oui, tu vas dans la bonne direction” ou “Tiens, est-ce que t'as pensé à ça ?”, qui a une vision un peu différente de toi et qui peut des fois te forcer à voir plus loin, à prendre d'autres chemins. Quelqu'un aussi qui est là pour te dire “Ok, tu t'es planté, c'est pas grave. On se plante tous en entrepreneuriat. Ton offre, elle a pas marché. On va se poser, on va regarder ensemble ce qui n'a pas marché, ce qui a foiré et on va s'améliorer, on va se relancer et on va faire au mieux.”" Et je pense que cette démarche-là, c'est une démarche que certains entrepreneurs ne connaissent pas. »
Pour l’instant, ses principales sources de clients sont le réseau de freelances Wexample et le bouche-à-oreille, mais elle vient d’effectuer un gros travail pour se développer sur les réseaux sociaux.
Son offre phare s’appelle « OBM à tes côtés ». Une offre « à la carte », où elle aide l’entrepreneur en fonction des ses besoins. Et cet été, elle lance une offre pour les entrepreneurs qui démarrent.
« C’est une offre petit prix, à 150 €, pour aider les entrepreneurs à mettre en place une to do list stratégique. Parce qu'en fait, souvent, en tant qu'entrepreneur, on est très organisé pour nos clients, mais nos business à nous, ils passent après. Moi, je veux aider les entrepreneurs à mettre en place une vraie to do stratégique, qui parle de leurs objectifs et de leurs projets. »
Ravie de sa reconversion, Tiphanie semble avoir trouvé le métier qui comble ses 3 critères (sens, sécurité financière et stimulation intellectuelle) et qui s’adapte à sa personnalité et à son rythme.
« Je suis la personne de l'ombre qui aime t'aider à te mettre dans la lumière. C'est mon truc. J'adore aider les autres à monter des projets. »
Pour en savoir plus sur le travail de Tiphanie et prendre RDV avec elle 👉 moridigital.fr
Le message de Tiphanie aux lecteurs d’Orenda
« Si vous n’êtes pas bien dans votre métier, vous n’êtes pas tout seuls ! Et quel que soit votre âge, il n'est jamais trop tard pour une reconversion ! Tout ce que vous avez fait jusqu'à présent, vous ne l’avez pas fait pour rien, vous avez acquis de l’expérience, des compétences, que vous pouvez réutiliser ailleurs, même si c'est dans un contexte complètement différent. C’est le chemin que vous avez fait qui vous amène où vous êtes aujourd'hui. Profitez-en pour mener une introspection : qui je suis ? Comment je fonctionne ? Qu’est-ce que j’aime ? Qu’est-ce que je recherche vraiment dans un métier ? Qu’est-ce qui est important ? Et puis, écoutez votre instinct… »
Le livre « déclic » de Tiphanie
📚 Dialogue avec la jeunesse, de Daisaku Ikeda : « Ce sont des entretiens entre des responsables bouddhistes et la jeunesse. Je ne suis pas bouddhiste, mais c'est un livre qui m'a vachement m'a marquée parce que je l'ai lu à un moment où dans ma vie, ça n'allait pas. Et je l'ai trouvé inspirant parce que tu prends conscience, entre autres, que tout le monde a de l’importance à son niveau. Le balayeur de rue, par exemple, il est aussi important dans le fonctionnement de la société que le médecin. Si tu n'as pas de balayeur de rue, tu as des déchets dans la rue. Si les déchets s'accumulent, tu as des maladies qui se propagent. Si les maladies se propagent, les gens meurent. On a tous notre rôle à jouer. Il faut juste réussir à trouver sa place et trouver ce dans quoi on est bon. »